Une dizaine de travailleurs sans-papiers marocains, employés dans des usines de tri des déchets de la région parisienne, ont manifesté ce lundi. Ils décrivent leurs conditions de travail dans des incinérateurs, « sans masque, sans harnais, sans sécurité ». Ils souhaitent, avec leur mouvement, obtenir des contrats de travail et leur régularisation.
Ils sont une dizaine de personnes rassemblées devant l’immense centre de tri des déchets géré par l’entreprise française Veolia, dans le 15e arrondissement de Paris. En ce lundi matin de fin août, ces travailleurs sans-papiers marocains (huit hommes et trois femmes) manifestent pour dénoncer leurs conditions de travail. Ils ont été employés pendant plusieurs années comme agents de tri pour un sous-traitant de Veolia, sans contrat de travail, dans des conditions indignes, selon eux. Depuis la liquidation judiciaire du sous-traitant, NTI, en mai dernier, ils ont décidé de ne pas reprendre le travail avec la nouvelle société, et de faire valoir leurs droits.
« On est là pour faire respecter nos droits : en trois ans de travail, on n’a jamais été déclarés. On touchait environ 800 euros par mois, alors qu’on a des loyers de 500 euros », raconte Lhassan, un Marocain de 48 ans, qui a travaillé plusieurs années pour la société NTI.
Accidents de travail fréquents
Les travailleurs étrangers de NTI estiment également ne pas avoir été protégés par leur employeur. Travailler sur une ligne de tri n’est pas de tout repos entre les cadences élevées, le port de charges lourdes, les horaires décalés, ou la manipulation de produits toxiques. Selon l’Assurance maladie, on compte 76 jours d’arrêt pour accident de travail en moyenne dans ce secteur. « Un de nos collègues s’est fracturé l’épaule lors d’une chute à l’usine. Pendant son arrêt de travail, il n’a pas touché le moindre salaire », témoigne Amine, un Marocain de 23 ans.
« On est traités comme des esclaves, on a travaillé dans des incinérateurs, sans masque, sans harnais, sans sécurité », dénonce-t-il encore. « J’ai développé de l’eczéma, des allergies, des douleurs au nez », renchérit Mustapha, 35 ans, qui dit consulter un médecin régulièrement.
Certains évoquent même des menaces ou encore du racket, de la part de certains cadres de NTI : « Ils prélèvent une part de salaire quand on demande à travailler davantage », affirme Mustapha.
Le 20 décembre 2022, l’Inspection du travail a effectué une descente simultanée dans quatre sites de traitement des déchets concernés. Dans un courrier récemment envoyé aux travailleurs, elle met en lumière un système d’exploitation très bien organisé. « Il y a eu un gros travail de recueil de preuves pour prouver que ces travailleurs étaient payés par le sous-traitant via des sociétés ‘taxis’ [société fictive uniquement destinée à faire transiter des fonds, ndlr], en espèces, en virement ou en chèque, ce qui permet à chaque fois de ne pas déclarer ni payer ses cotisations à l’Urssaf », explique Me Katia Piantino, avocate du collectif.
Dans un communiqué, la CGT a dénoncé « ce système de gestion illégale de détachement de salariés temporaires qui organise le dumping social. » L’organisation syndicale, qui soutient les 11 Marocains, demande leur embauche en CDI, la régularisation de leur situation, le rattrapage des salaires ainsi que la remise aux salariés des fiches de paie manquantes. Interrogée par InfoMigrants, Veolia refuse de donner pour l’instant une « réponse collective » mais étudiera « chaque situation individuelle qui [lui] sera soumise ».
Une requête déposée au Conseil de prud’hommes
L’avocate s’apprête à déposer une requête au tribunal des prud’hommes de Paris contre NTI, notamment pour travail dissimulé, marchandage et prêt illicite de main-d’œuvre. Elle attaque également les donneurs d’ordre (les sociétés Veolia, Suez, Paprec et Urbaser) pour manquement à leur obligation de vigilance, puisque celles-ci on fait travailler des sans-papiers, via les sous-traitants. Selon le Code du travail, « tout client d’un contrat dépassant 5 000 euros doit vérifier que son fournisseur n’emploie pas d’étranger sans titre de travail. »
De son côté, Veolia se défend, assurant avoir mis fin à son contrat avec NTI en 2022. « Dès lors que nous avons détecté des incohérences dans les éléments de réponses fournis par NTI, Veolia a pris la décision d’arrêter de travailler avec ce prestataire », indique l’entreprise à InfoMigrants. La société explique aussi qu’en tant que donneur d’ordre, elle « n’était pas censé[e] disposer des documents d’identité des salariés de NTI ».
« J’ai du mal à croire que Veolia qui a engrangé 1,1 milliards de bénéfices nets en 2022 ne puisse pas donner de contrats à ces travailleurs-là », a réagit le député européen Pierre Larrouturou (Nouvelle Donne), présent lundi pour soutenir l’action syndicale. Approchés par la CGT, les responsables de Veolia avaient prévu de rencontrer le collectif de travailleurs lundi pour entendre leurs revendications. Mais à ce jour, aucune discussion n’a eu lieu entre les manifestants et l’entreprise.
Les travailleurs migrants davantage exploités
Ce n’est pas la première fois que des sans-papiers entament un mouvement social dans le secteur de la collecte des déchets. En octobre 2021, une soixantaine d’éboueurs en situation irrégulière de la société Sépur avaient lancé une action syndicale pour réclamer leur régularisation et mettre fin à des pratiques de racket organisées, selon eux, par leurs chefs de dépôt.
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D’après Jean-Albert Guidou, secrétaire général de la CGT 93 et conseiller du collectif travailleurs migrants, près de 700 000 sans-papiers travaillent actuellement en France, dont 7 000 sont régularisés chaque année pour motif de travail, grâce à la circulaire Valls de 2012. Il faut pour cela cumuler trois années de présence sur le territoire et réunir 24 feuilles de paye ainsi qu’une promesse d’embauche en CDI. Agent de tri pour le compte de NTI depuis 2019, Mustapha, 35 ans, a déposé sa demande il y a un an. « Je n’ai toujours pas eu de réponse », souffle-t-il. Lhassan, lui s’est vu délivrer une Obligation de quitter le territoire français (OQTF) : « J’ai peur d’être renvoyé au Maroc du jour au lendemain ».
Sources : https://www.infomigrants.net/