Droit d’asile : en quoi consiste la liste de « pays sûrs » établit par la Commission européenne ?

La Commission européenne a publié, le 16 avril, une liste de sept pays considérés comme sûrs, applicable à tous les États membres – une fois qu’elle sera approuvée par le Parlement et le Conseil de l’UE. Concrètement, qu’est-ce que cela signifie ? Comment cette liste a-t-elle été élaborée ? Quelles conséquences pour les demandeurs d’asile originaires de ces pays ? Entretien avec un porte-parole de la Commission européenne.
Afin d’accélérer le traitement des demandes d’asile, la Commission européenne a publié, mercredi 16 avril, une liste des pays d’origine dits « sûrs » qui englobe le Kosovo, le Bangladesh, la Colombie, l’Egypte, l’Inde, le Maroc et la Tunisie.
Concrètement, les ressortissants de ces pays qui déposeraient une demande d’asile en Europe n’auraient a priori pas le profil pour être éligibles à une protection internationale – puisqu’ils viendraient de ces États considérés comme « sûrs ». InfoMigrants fait le point avec un porte-parole de la Commission européenne.
InfoMigrants : Comment les pays sûrs ont-ils été identifiés par la Commission européenne pour établir cette liste ?
Porte-parole de la Commission européenne : Notre méthodologie, en coopération avec l’Agence de l’Union européenne pour l’asile (AUEA) repose sur des critères spécifiques relatifs, comme le nombre d’arrivées irrégulières ou le taux de reconnaissance [des dossiers d’asile].
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À la demande de la Commission, l’AUEA a évalué la situation juridique et politique de certains pays, notamment :
- Les pays candidats à l’adhésion à l’Union européenne [comme la Turquie ou la Géorgie, ndlr]. On peut supposer que ces pays, ayant été jugés conformes aux critères de Copenhague
pour l’obtention du statut de candidat, remplissent également les critères de désignation comme pays d’origine sûrs.
- Les pays d’origine qui génèrent un nombre important de demandes d’asile dans l’UE et dont le taux de reconnaissance à l’échelle de l’UE est inférieur ou égal à 5 %.
- Les pays exemptés de visa qui génèrent un nombre important de demandes d’asile dans l’UE et dont le taux de reconnaissance à l’échelle de l’UE est inférieur ou égal à 5 %.
Dans ces deux derniers cas, ce sont des pays partenaires où il n’existe généralement aucun risque de persécution ou de préjudice grave, comme le montrent les très faibles taux de reconnaissance des demandes d’asile de leurs citoyens dans les États membres de l’UE.
- Les pays figurant sur les listes des pays d’origine sûrs des États membres.
Chaque État membre a sa propre liste de pays sûrs. Si la liste de l’UE est adoptée par le Parlement européen et les Vingt-Sept, elle serait la première à voir le jour de manière harmonisée à l’échelle européenne : tous les États membres seront censés la respecter.
Suivant cette méthodologie, l’AUEA a préparé des informations détaillées sur les pays d’origine, basées sur diverses sources. Par exemple : les rapports sur l’élargissement de l’UE, les rapports du SEAE [Service européen pour l’action extérieure, ndlr] et des agences de l’UE, dont l’Agence des droits fondamentaux ; les rapports du Haut-commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR) et d’autres organisations internationales, mais aussi d’ONG et de groupes de réflexion.
IM : Cette liste de pays sûrs est-elle immuable ou pourra-t-elle évoluer en fonction de la situation politique dans les États d’origine ?
Porte-parole : La Commission assurera un suivi régulier de la liste de l’UE, tant au niveau opérationnel que politique.
Au niveau politique, la Commission suivra en permanence l’évolution de la situation dans ces pays partenaires.
Si la Commission constate une détérioration significative de la situation d’un pays figurant sur la liste, elle peut suspendre la désignation d’un État comme pays d’origine sûr pour une durée maximale de six mois (renouvelable une fois).

Sur le plan opérationnel, elle sera assistée par l’AUEA, qui surveille en permanence la situation dans les pays d’origine grâce à des mises à jour régulières des informations spécifiques à chaque pays.
Un pays peut être retiré de la liste par une procédure législative ordinaire (proposition de la Commission et codécision).
IM : Concrètement, comment cela va se dérouler pour les personnes originaires de pays dits sûrs qui déposent une demande d’asile dans un État membre de l’UE ?
Porte-parole : En pratique, l’application de cette liste signifie que les États membres procéderont, dans le cadre d’une « procédure accélérée », à une évaluation individuelle des demandes d’asile présentées par les ressortissants de ces pays.
Lors de ces évaluations individuelles, une attention particulière doit être accordée aux demandeurs qui pourraient néanmoins avoir une crainte fondée d’être persécutés ou être exposés à un risque réel de préjudice grave.
Dans le cadre du Pacte [asile et migration, ndlr], l’AUEA sera également chargée de surveiller l’application des règles d’asile, y compris la notion de pays d’origine sûr.
En mai 2024, le Conseil de l’UE a entériné le Pacte asile et migration. Cette vaste réforme qui durcit le contrôle de l’immigration en Europe entrera en vigueur courant 2026. Le Pacte, âprement négocié par les États membres, met en place une procédure de « filtrage » des migrants aux frontières de l’UE pour les identifier et distinguer plus rapidement ceux qui ont des chances d’obtenir l’asile de ceux qui ont vocation à être renvoyés vers leur pays d’origine.
Ceux qui ont statistiquement le moins de chances d’obtenir l’asile seront retenus dans des centres le temps que leur dossier soit examiné de manière « accélérée », six mois maximum. Les autres demandeurs d’asile suivront la procédure classique.
Ce Pacte établit aussi un mécanisme de solidarité entre les Vingt-Sept dans la prise en charge des demandeurs d’asile.
IM : C’est la première fois que l’UE établit une liste de pays sûrs sur les questions d’asile. C’était une mesure importante qu’il fallait mettre en place rapidement ?
Porte-parole : L’application de cette liste est prévue à partir de juillet 2026, date à laquelle le Pacte deviendra applicable dans son ensemble. Mais nous proposons d’accélérer sa mise en œuvre [une fois que ce nouveau texte sera approuvé par le Parlement européen et le Conseil de l’UE, ndlr].
Ainsi, les États membres pourront appliquer la procédure à la frontière ou une procédure accélérée aux personnes provenant de pays où, en moyenne, 20 % ou moins des demandeurs obtiennent une protection internationale dans l’UE.
Toutefois, des exceptions peuvent être prévues pour la désignation de pays tiers sûrs et de pays d’origine sûrs, ce qui confère aux États membres une plus grande flexibilité en excluant des régions spécifiques ou des catégories de personnes clairement identifiables.
Sources: infomigrants




