« Système d’asile bulgare défaillant » : au Royaume-Uni, des avocats s’opposent au renvoi de migrants vers la Bulgarie

Au Royaume-Uni, des avocats s’opposent au renvoi de demandeurs d’asile dublinés vers la Bulgarie, pays où les migrants sont maltraités et violentés par les autorités. Ces retours contreviennent à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme, affirment encore les avocats.
Selon le Guardian, média de référence au Royaume-Uni, des avocats britanniques cherchent actuellement à annuler les expulsions de migrants vers la Bulgarie en raison d’allégations de violences auxquelles sont confrontés les demandeurs d’asile dans le pays.
« Le système d’asile bulgare est défaillant et ne respecte pas les normes en matière de droits de l’Homme auxquelles il est légalement tenu en tant qu’État membre de l’Union européenne (UE). Les pays européens ne peuvent plus justifier les renvois vers la Bulgarie sous prétexte qu’il s’agit d’une destination sûre », a notamment déclaré Ana Carolina Fisher da Cunha, avocate spécialisée dans les droits de l’Homme et co-auteure du rapport de l’ONG No Name Kitchen (NNK), publié en avril 2025, « Le piège bulgare ».
George Sheldon Grun, un avocat spécialisé en droit public, a, lui, déclaré au Guardian que son cabinet représentait plusieurs Syriens qui contestaient leur expulsion vers la Bulgarie devant les tribunaux britanniques. « Ces cas soulèvent de sérieuses questions quant à l’adéquation de la protection et à la compatibilité du renvoi vers la Bulgarie avec les obligations légales du Royaume-Uni », a déclaré l’avocat.
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En vertu du règlement Dublin (qui régit l’asile sur le sol européen), le Royaume-Uni peut renvoyer des demandeurs d’asile vers la Bulgarie s’il est prouvé que ces derniers sont déjà passés par ce pays européen. Bien que le Royaume-Uni ne fasse plus partie du système Dublin depuis le Brexit, des renvois ont toujours lieu dans le cadre d’accords bilatéraux.
200 retours du Royaume-Uni vers la Bulgarie en 2024
Seulement voilà, les avocats britanniques, cités par le journal, dénoncent les violences et maltraitances contre les migrants en Bulgarie – violences qui contreviennent à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme, qui interdit la torture, les traitements inhumains ou dégradants.
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« Les États européens, y compris le Royaume-Uni, continuent de fermer les yeux sur les violations graves et généralisées des droits de l’Homme commises à l’encontre des personnes en déplacement et sur l’échec flagrant du système d’asile bulgare, choisissant de procéder à des expulsions vers un pays où les demandeurs d’asile courent un risque sérieux de subir des préjudices », écrit encore No Name Kitchen dans son rapport.

Entre le 5 juillet 2024 – date de l’entrée en fonction du nouveau gouvernement travailliste – et le 22 mars 2025, près de 24 000 expulsions – volontaires ou forcées – ont été effectuées depuis le Royaume-Uni. C’est « le taux de renvoi le plus élevé depuis huit ans », note le Home Office. Et sur ce total, « un peu plus de 200 migrants » ont été renvoyés en Bulgarie, note le Guardian qui cite les chiffres du rapport de No Name Kitchen.
L’année précédente, en 2023, « la Bulgarie avait reçu 18 145 demandes [de retour de demandeurs d’asile dublinés], soit le deuxième plus grand nombre parmi tous les pays de l’UE », écrit l’ONG dans son rapport. « Ces chiffres marquent une augmentation stupéfiante des retours Dublin ».
« Ils ont pris tout notre argent »
Outre les renvois Dublin, la Bulgarie, porte d’entrée dans l’UE à l’est de l’Europe, a observé ces deux dernières années une hausse de l’immigration irrégulière, notamment le long de sa frontière avec la Turquie – et ce, malgré la présence d’une clôture en barbelés de 234 km.
Le pays, qui a intégré l’espace Schengen début 2025, a durci ses contrôles à la frontière turque pour limiter les arrivées de migrants. Mais selon les ONG, les gardes-frontières ont recours à des méthodes brutales pour enrayer les passages irréguliers et effectuent de nombreux refoulements.
Surtout, les autorités sont régulièrement accusées de violences envers les exilés. En décembre 2024, trois mineurs originaires d’Égypte, âgés de 15 à 17 ans, avaient été retrouvés morts en Bulgarie, à quelques kilomètres de la frontière turque. Les associations avaient accusé les autorités bulgares d’avoir empêché le sauvetage de ces trois adolescents, et d’avoir ainsi causé leur décès. « L’un [était] recouvert de neige et l’autre [avait] la tête dans une flaque d’eau », précisait un communiqué de NNK. Le lendemain, une troisième dépouille est retrouvée par les humanitaires. Le corps « avait été partiellement mutilé : un pied et la tête avaient été dévorés par des animaux ».

En juin 2024, InfoMigrants avait rencontré dans la petite ville de Svilengrad, toute proche de la frontière avec la Turquie, un groupe de quatre jeunes Marocains. Amine, 24 ans avait dit avoir été refoulé cinq fois. Les autres, âgés de 22 à 30 ans, ont vécu deux, parfois trois « pushbacks ». Lors de ces refoulements, « à chaque fois, la police a pris nos téléphones, nos affaires, notre argent », dénonçait Amine. « Ils prenaient aussi nos vêtements et nos chaussures ».
En avril 2022, les gendarmes turcs avaient retrouvé 84 migrants refoulés par les autorités bulgares. Les exilés étaient à demi-nus et tentaient de se protéger du froid avec des sacs.
« La police nous battait »
Pour rappel, à l’heure actuelle, les migrants qui arrivent en Bulgarie peuvent se faire enregistrer comme demandeurs d’asile dans trois types de lieux : les postes de police à la frontière, les centres de détention, et les centres d’accueil et d’enregistrement.
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« Même s’ils atteignent par eux-mêmes des centres pour demandeurs d’asile, beaucoup de migrants sont envoyés dans un premier temps dans des centres de détention. Ils y passent des contrôles de sécurité, obtiennent une autorisation de circuler de la police… Et y déposent leur demande d’asile », détaillait Diana Radoslavova de l’ONG Voice in Bulgaria rencontrée par InfoMigrants.
Osman, un Syrien de 25 ans, avait confié à InfoMigrants la rudesse des conditions de vie dans ces centres de détention bulgares. Arrêté en janvier 2024 à Sofia en situation irrégulière alors qu’il tentait de sortir du pays pour rejoindre les Pays-Bas, le jeune homme a été placé au centre de Lubiméts, au sud de la Bulgarie. « À l’intérieur, c’était terrible. Il y avait des insectes partout. Je n’arrivais pas à dormir. Et la police nous battait. Osman a été battu « quatre ou cinq fois » pendant ses 13 jours de détention. « Je n’avais aucune possibilité d’avoir mon téléphone », racontait encore le jeune Syrien. « Ma famille s’inquiétait beaucoup car elle n’avait aucune nouvelle de moi, et pensait que j’étais mort. Ces 13 jours m’ont paru durer 30 ans. »
Victor Lilov, membre du Comité Helsinki bulgare dénonçait lui aussi auprès d’InfoMigrants les conditions de détention des exilés. « Je connais un Syrien qui est enfermé depuis un an et demi, il a été débouté de l’asile, après avoir fui le service militaire en Syrie du régime d’Assad », expliquait en juin 2024 le défenseur des droits humains. En 18 mois de détention, « son avocat ne sait [toujours] pas ce qui est reproché à son client, ni comment le défendre en conséquence ».
La plupart des migrants enregistrés comme demandeurs d’asile en Bulgarie n’attendent même pas la réponse des autorités. Il s’agit à leurs yeux d’un simple pays de transit. Un passage obligé, avant de poursuivre leur route vers des pays d’Europe de l’Ouest, notamment le Royaume-Uni, où se trouvent des membres de leur famille ou de meilleures perspectives de travail et d’insertion.
Sources: infomigrants




