Depuis le 30 novembre, l’association Espero a ouvert un atelier de couture à Antony, dans le sud de Paris. L’organisation, qui emploie une dizaine de réfugiés au talent unique, a pour but de leur offrir une première expérience professionnelle de qualité en France. De grandes marques françaises ont déjà offert de nombreuses chutes de tissus tandis que d’autres envisagent une collaboration afin de produire des pièces 100% made in France.
« Ils ont le talent, l’expérience et la motivation. Il ne leur manquait qu’une main tendue » : neuf exilés, dont six Afghans, deux Tibétaines et une Marocaine, sont les premiers couturiers embauchés par l’association Espero à l’occasion du lancement du projet « Fil d’Avenir« , un atelier de couture solidaire qui n’emploie que des réfugiés, à Antony dans la banlieue-sud de Paris.
« Ce sont des personnes qui n’ont jamais travaillé en France alors qu’elles ont des compétences incroyables, des compétences qui n’ont jamais été valorisées ici, même par les réfugiés eux-mêmes qui n’osent pas », souligne Maya Persaud, fondatrice d’Espero, aux commandes de ce nouvel atelier de couture niché dans un hangar de 18 000 mètres-carrés. Deux semaines après l’ouverture, les équipements sont encore quelque peu spartiates : trois machines à coudre neuves, quelques tables où sont disséminées des chutes de tissus offertes par de grands couturiers français et quelques spots de lumière.

Posté derrière le bureau central, Thierry, l’œil affuté, ne laisse rien passer : « Ton ourlet est trop grossier, on a dit un centimètre maximum, on veut du raffinement à la française », explique-t-il à l’un des réfugiés qui boit ses paroles. Ce styliste-modéliste parisien a été recruté par Espero pour encadrer et coacher les couturiers qui, pour le moment, s’entraînent uniquement à répondre à différentes missions afin d’être prêts lorsque leur premier client passera commande.
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« Je suis impressionné par leur technicité. Certains sont capables de monter une chemise en deux minutes, d’autres sont de vrais experts en découpe… chacun a ses forces », raconte-t-il. « Mon but est qu’ils soient opérationnels à tous les postes de travail pour qu’ils comprennent comment bien fonctionner en équipe et pour que la chaîne de production soit fluide et harmonieuse. »

« Cet emploi, en France, est un rêve pour moi »
Un aspect du métier qu’Afshari maîtrise bien. Ce jeune Afghan arrivé en France en 2017 était couturier de carrière et adorait son métier. Après son départ d’Afghanistan, il passe par l’Iran, la Turquie et atterrit au Danemark où sa demande de protection n’aboutira jamais. Risquant l’expulsion vers l’Afghanistan, il tente sa chance en France où il obtient le statut de réfugié.
« Je reviens de tellement loin, que je n’ai pas voulu faire le difficile, dans un premier temps je n’ai fait que de l’intérim, des petits boulots dans le bâtiment, du repassage… Mais ce n’était pas mon métier ». À de nombreuses reprises il envoie son CV pour des postes de couturier. Aucune réponse jusqu’à ce que son chemin croise celui d’Espero. « Aujourd’hui je suis vraiment heureux, tout ce que je souhaite c’est garder ce poste et travailler encore plus ! », lance-t-il.

Pour Haider aussi la vie a changé grâce à l’atelier de couture dont il est le chargé d’insertion. Son rôle est de faire le lien avec les couturiers et de les accompagner professionnellement et administrativement. « J’adore le contact, c’est mon premier emploi ici et la première fois que je peux aider concrètement des gens qui sont passés par un parcours difficile similaire au mien », explique dans un très bon français cet autre Afghan, réfugié en France depuis un an.
« Avant j’étais chargé de projet, on m’avait prévenu qu’il y avait peu de chances que je puisse faire un métier qualifié en Europe. Alors cet emploi, en France, pour moi c’est un rêve qui se réalise et c’est tellement gratifiant de pouvoir aider des gens qui ont de l’expérience et du talent. »

Plus qu’un premier emploi, c’est une forme de « dignité » que retrouvent ces réfugiés, se félicite Maya Persaud qui voit déjà plus loin. Car si pour l’instant les couturiers ne travaillent que deux fois cinq heures par semaine au taux horaire du smic, le but à terme est d’augmenter le volume d’heures travaillées et même de convertir l’atelier en une véritable entreprise sociale.
« Pour l’instant, ils sont embauchées dans le cadre du ‘Dispositif des premières heures’, un projet en test à Paris et dans les Hauts-de-Seine visant à donner une première expérience dans l’emploi en France. Ils sont ainsi dirigés vers un emploi, ils suivent des cours de français et sont accompagnés par des travailleurs sociaux sur une durée de 18 mois. On espère ensuite que l’atelier marchera suffisamment pour les faire sortir du dispositif d’insertion et pérenniser leur emploi », ajoute-t-elle.
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Ancienne styliste et directrice de collection pour plusieurs grandes marques, Marie Chiapponi pourrait bien faire partie des premiers clients de l’atelier. En quête de sens dans son emploi, lassée de ne travailler qu’avec l’Asie pour produire uniquement des vêtements en quantité astronomique, la jeune femme a quitté le milieu de la mode il y a quelques mois. Pendant le premier confinement, elle lance une marque de masque baptisée « Né en France » avec l’idée de ne développer que des produits conçus et réalisés exclusivement dans l’Hexagone.
« Je veux revenir à des choses simples, des matières recyclées où l’aspect humain est au cœur. D’où l’envie de travailler avec des réfugiés ici », exprime-t-elle. « Je vais d’ailleurs revenir d’ici la fin de la semaine avec des prototypes de produits à développer pour faire les premiers essais avec les couturiers. » Un projet que la styliste voit comme une renaissance pour ses futurs produits qui seront fabriqués avec des chutes de tissus ou avec des matières chinées, mais aussi et surtout une renaissance pour ces couturiers dont le talent peut enfin être reconnu.

Sources : https://www.infomigrants.net/