Automutilation, « violation flagrante des droits », expulsion coûteuse… Les transferts de migrants vers l’Albanie sous le feu des critiques

Dix jours après le transfert de 40 migrants d’Italie vers l’Albanie en vue d’une expulsion vers leur pays d’origine, deux personnes ont dû être rapatriées en Italie pour des cas d’automutilation et deux autres pour des questions juridiques. Dans la structure de Gjadër, les exilés sont confrontés à une « violation fragrante de leurs droits », estiment des parlementaires qui ont visité les lieux. Les autorités italiennes, de leur côté, vantent le « premier rapatriement d’un citoyen étranger » détenu en Albanie.
Les revers s’enchaînent pour le gouvernement italien dirigé par la Première ministre d’extrême droite Giorgia Meloni. Dix jours après le transfert en Albanie de 40 migrants, quatre d’entre eux sont déjà de retour en Italie, indique la presse locale.
Le 11 avril, 40 exilés maintenus en centre de rétention italien ont été expulsés vers le centre albanais de Gjadër, dans le cadre d’un accord entre Rome et Tirana. Ils sont désormais enfermés dans la structure en attendant leur renvoi dans leur pays d’origine. Une procédure qui peut prendre des mois.
Très peu d’informations ont filtré sur la nationalité et le profil de ces personnes. Selon Rome, plusieurs d’entre elles ont des casiers judiciaires pour des faits de violences, de tentative de meurtre ou de trafic de drogue.
Inaptes à la détention
Mais ce transfert, largement salué par le gouvernement, semble déjà avoir du plomb dans l’aile. Quelques jours après leur arrivée en Albanie, deux migrants ont été rapatriés vers l’Italie pour des cas d’automutilation. Du fait de leur état psychologique, ils ont été jugés inaptes à ce type de détention.
A lire aussi
Migrants : Rome veut recycler ses centres en Albanie en bases de rapatriement
Deux autres ont été renvoyés sur le sol italien pour des questions juridiques : l’un car son appel sur sa demande d’asile n’a pas encore été traitée par la justice italienne, l’autre parce qu’il a déposé une demande de protection internationale à son arrivée en Albanie.
En effet, l’accord entre les deux pays stipulent que seuls les migrants jamais entrés en Italie et les personnes en situation irrégulière présente sur le territoire national peuvent être transférés en Albanie. En demandant l’asile, même une fois arrivé sur le sol albanais, cette personne n’entre dans aucune de ces deux catégories, et ne peut donc être retenue à Gjadër.
Première expulsion controversée vers le Bangladesh
Le gouvernement, lui, préfère mettre en avant la réussite de son projet. Samedi 19 avril, le ministre de l’Intérieur Matteo Piantedosi s’est ainsi réjoui sur X du « premier rapatriement d’Albanie d’un citoyen étranger détenu au centre de Gjadër ». « Les opérations de rapatriement des migrants irréguliers se poursuivront dans les prochains jours comme le prévoit la stratégie du gouvernement pour une action plus efficace de lutte contre l’immigration illégale », a-t-il martelé.
Mais le ministre omet de préciser que pour parvenir à cette évacuation, le processus a été long et coûteux. Selon la presse italienne, ce ressortissant bangladais de 42 ans a été transféré fin mars du centre de rétention de Pian del Lago, à Caltanissetta (Sicile) où il se trouvait, vers celui de Brindisi (Sicile). C’est depuis cette structure que les 40 exilés ont été envoyés en Albanie le 11 avril. Après six jours dans le centre de Gjadër, le Bangladais a été rapatrié en l’Italie, et enfin expulsé vers Dacca. Les expulsions d’étrangers vers un pays tiers ne pouvant se faire directement depuis le sol albanais.
Au total, cette expulsion a coûté pas moins de 6 000 euros aux autorités italiennes, contre 2 800 euros si l’homme n’avait pas été transféré en Albanie, d’après les calculs de la Repubblica.
« Comment peut-on qualifier, sinon de farce, le fait de déplacer un migrant déjà détenu dans un CPR [centre de rétention, ndlr] en Italie vers l’Albanie et de le rapatrier, alors qu’il aurait pu être rapatrié directement d’Italie, plus tôt et sans frais supplémentaires pour la communauté ? », s’est interrogé sur les réseaux sociaux le vice-président du parti libéral Italia Viva, Davide Faraone. « Les CPR en Italie ne sont pas pleins (…) Il n’existe aucune situation de surpopulation justifiant l’utilisation de centres albanais inutiles et les mouvements de navires militaires le long de la Méditerranée », a insisté le responsable politique.
« Opacité et manque d’accès à l’information »
Dès les premiers jours, les transferts vers l’Albanie ont suscité de vives critiques. Lors d’une visite dans la structure de Gjadër mi-avril, la députée italienne Rachele Scarpa, du Parti démocrate (centre gauche), et l’eurodéputée Cecilia Strada (Alliance progressiste des socialistes et démocrates) ont pu rencontrer quatre des quarante migrants retenus.
Selon ces femmes politiques, toutes les personnes « ont appris dès leur arrivée qu’elles seraient transférées en Albanie. Aucune information préalable n’a été donnée, en violation flagrante de leurs droits ». L’un des exilés a raconté avoir été réveillé à 3h du matin dans le centre de rétention italien où il se trouvait, et qu’il avait découvert qu’il était en Albanie qu’après l’atterrissage. Il n’avait pas eu accès à un avocat.

Les parlementaires dénoncent aussi le manque de transparence du gouvernement. « L’ensemble de l’opération en Albanie est mené dans l’opacité et dans un manque d’accès à l’information pourtant cruciale pour l’exercice adéquat de nos pouvoirs d’inspection en tant que parlementaires. »
Avec le transfert de 40 exilés début avril, le gouvernement italien tente de « remettre en activité » les centres d’accueil pour demandeurs d’asile que Rome a construit à grands frais en Albanie. Fin mars, le Conseil des ministres avait adopté un décret-loi permettant de recycler les structures en centres de rapatriement pour migrants en situation irrégulière.
Un projet de reconversion qui témoigne de l’inutilité de ces centres alors que la justice italienne a refusé à plusieurs reprises de valider la détention en Albanie de migrants interceptés en mer, exigeant même leur rapatriement sur le territoire italien.
La Première ministre d’extrême droite Giorgia Meloni défend, depuis son arrivée au pouvoir en octobre 2022, un projet de d’externalisation du traitement de l’immigration dans un pays tiers, présenté comme un « modèle » pour toute l’Europe.
Sources : infomigrants




