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Un migrant bangladais devient le premier « déplacé environnemental » de France

La Cour d’appel du tribunal administratif de Bordeaux a octroyé le mois dernier le statut d’étranger malade à un Bangladais souffrant d’une maladie respiratoire en prenant en compte la pollution atmosphérique de son pays d’origine. Une première dans l’Hexagone.

Établi en France depuis près d’une décennie, Sheel*, un Bangladais atteint d’une maladie respiratoire coriace, a obtenu son premier titre de séjour pour étranger malade en 2015. Ce quadragénaire sans histoires vivant à Toulouse, dans la Haute-Garonne, souffre d’une forme d’asthme sévère nécessitant un lourd traitement de fond ainsi que d’une forte apnée du sommeil le contraignant à dormir sous assistance respiratoire toutes les nuits.

Malgré son état de santé fragile, il se voit refuser en juin 2019 le renouvellement de son titre de séjour et risque l’expulsion, la préfecture estimant que le demandeur pouvait se procurer un traitement approprié au Bangladesh. Sa demande de rapprochement familial pour retrouver son épouse restée au pays sera également rejetée. 

Un an plus tard, le tribunal administratif fait annuler l’arrêté du préfet, arguant que si des médicaments pour soulager les crises d’asthme sont bien disponibles à la vente au Bangladesh, le traitement de fond, lui, n’existe pas. Mais le préfet ne s’arrête pas là et porte l’affaire devant la Cour d’appel de Bordeaux qui confirme, le 18 décembre dernier, le premier jugement et y ajoute même un critère inédit dans l’Hexagone : celui de la pollution atmosphérique au Bangladesh.

Le Bangladesh parmi les pays les plus pollués au monde

« C’est la première fois en France qu’une juridiction prend en compte le critère climatique pour justifier qu’une personne doive bénéficier du statut d’étranger malade », commente Me Ludovic Rivière, avocat au barreau de Toulouse et représentant de Sheel, joint par InfoMigrants. « Car il est évident que les conditions environnementales au Bangladesh permettent aujourd’hui d’affirmer qu’il serait illusoire que mon client y soit soigné, cela reviendrait à l’envoyer à une mort certaine. »

En effet, à Dacca, la capitale bangladaise, le taux de particules fines relevé dans l’air est six fois plus élevé que celui admis par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Selon des chiffres de l’institution datant de 2016, au Bangladesh quelque 572 600 décès sont imputables à des maladies non-transmissibles, parmi lesquels 82 % représentent des personnes exposées à la pollution de l’air à l’intérieur des habitations. Le Bangladesh se situe également au 178e rang de l’Environmental Performance Index, établi par des chercheurs des universités de Yale et Columbia, pour évaluer « qualité » de l’air dans le monde, le classant parmi les pays où l’air est le plus pollué de la planète.

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Outre la dangerosité liée à la pollution de l’air, la justice française a également reconnu que les coupures d’électricité quotidiennes et les fortes chaleurs au Bangladesh ne permettaient pas l’utilisation de l’appareil de ventilation de nuit dont a besoin Sheel.

Jurisprudence pour un statut de « réfugié climatique » ?

« De la même manière qu’on ne renvoie pas un malade du Sida vers un pays où il ne peut pas être soigné ou bien un condamné à mort vers un État qui pratique la peine capitale, Sheel ne peut pas être expulsé vers le Bangladesh. De là à faire jurisprudence et à créer un vrai statut de réfugié climatique en France, on en est encore loin », estime toutefois Me Rivière qui espère désormais que les pouvoirs publics et les tribunaux considèreront de manière plus systématique la question climatique. « Les candidats à l’exil climatique vont être de plus en plus nombreux, les politiques ne vont pas avoir d’autre choix que de s’y intéresser rapidement ». 

François Gemenne, enseignant et spécialiste des migrations liées à l’environnement, voit lui aussi un « pas dans la bonne direction » mais doute que la décision de la Cour d’appel de Bordeaux fasse des émules. « Parmi les demandeurs de protection, on trouve beaucoup de victimes de dégradation de leur environnement, cela joue un vrai rôle dans les causes de départ, mais c’est très rarement invoqué auprès des autorités, tout simplement car ce n’est presque jamais recevable et les demandeurs le savent bien », explique le chercheur interrogé par InfoMigrants. 

Selon lui, si le cas de Sheel est inédit, il arrive ponctuellement que des critères environnementaux soient pris en compte par la justice française. « Ce sont des décisions très sporadiques, tous les deux ou trois ans. Il y a déjà eu notamment plusieurs fois le cas de personnes ne pouvant pas être expulsées vers leur région d’origine car celle-ci était trop exposée à des catastrophes naturelles. Il faudrait pouvoir construire une jurisprudence à partir de tous ces cas, sauf que le climat politique actuel n’est pas à l’élargissement des critères d’obtention de l’asile », regrette-t-il.

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Un outil déjà existant pourrait toutefois permettre de faire évoluer la donne, affirme François Gemenne : l’agenda Nansen, ratifié par 110 pays dont la France en 2015, a ainsi le potentiel de définir des critères de protection clairs pour les réfugiés climatiques, mais son texte n’est pas contraignant. Et la France, qui jusqu’à décembre 2020 était à la tête de la présidence tournante de la Plateforme sur les déplacements liés aux catastrophes découlant de l’initiative Nansen, n’a pas annoncé de mesure concrète en ce sens. 

Sheel, quant à lui, se dit dépassé par son nouveau statut de précurseur en France. Soulagé par la décision du tribunal, il souhaite continuer sa vie simplement, ainsi que son travail dans le secteur de la restauration, avec comme priorité de recommencer son dossier de regroupement familial afin de retrouver son épouse qu’il n’a pas revu depuis neuf ans. 

Le Programme des Nations unies pour l’environnement prévoit 250 millions de réfugiés climatiques dans le monde d’ici à 2050.

Sources : InfoMigrants : informations fiables et vérifiées pour les migrants – InfoMigrants

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